La politique n’est assurément pas le droit des contrats.
Ainsi, chaque scénario doit être examiné à la lumière des faits, ici : le Parlement britannique a déclenché l’article 50 TUE et plusieurs prorogations du délai ont été octroyées. Cependant, et malgré tout, le résultat qui se dessine est un « no-deal ». En effet, le Gouvernement de Boris Johnson est prêt à délivrer le Brexit et, en politique, un leadership audacieux, qui plus est nouvellement élu, peut remporter des combats politiques qui, à première vue, semblent épineux. Toute tentative d’arrêter le « no-deal » nécessitera beaucoup de leadership, clairement manquant actuellement. Ce dernier pourrait cependant bien émergé dans un contexte de crise économique actuelle couplée à la hausse des taux d’intérêt.
Suite aux commentaires de Dominic Cummings selon lequel « il est maintenant trop tard » pour empêcher un Brexit sans accord, l’idée d’un départ chaotique du Royaume-Uni de l’Union s’est cristallisée désormais dans l’esprit des gouvernements et des investisseurs européens. Jusqu’à présent, les fonctionnaires de l’UE étaient confiants : le Premier ministre Boris Johnson n’envisagerait pas sérieusement de forcer le Royaume-Uni à quitter l’UE sans accord, surtout si le Parlement britannique avait signifié son opposition. Cependant, ce point de vue a évolué notamment avec le refus catégorique de Boris Johnson de rencontrer les dirigeants européens jusqu’à ce qu’ils retirent le filet de sécurité (autrement appelé Backstop). Cela conduit l’UE à croire que le Royaume-Uni se dirige maintenant vers une sortie désordonnée, et avec des députés britanniques pratiquement impuissants pour l’arrêter.
Cinq scénarios pourraient se réaliser dès septembre pour empêcher l’effondrement du Royaume-Uni le 31 octobre prochain.
1 – Le Parlement britannique bloque le « no-deal » et un référendum ou une élection est déclenchée – Selon David Haworth, professeur de droit et de politique publique à l’Université de Cambridge, il est possible pour le Parlement d’arrêter le « no-deal ». Il soutient que, sur la base de la nouvelle interprétation de l’article 24 du Règlement dans la nouvelle édition d’Erskine May (la bible de la procédure parlementaire britannique), « il devrait être possible de présenter une motion d’urgence modifiée pour inclure une recommandation sur le choix du futur Premier ministre ou pour suspendre la règle qui accorde au gouvernement le contrôle de l’ordre du jour et de réserver du temps pour un tel débat et un vote pour empêcher un « no deal ». À ce stade, Boris Johnson peut décider, plutôt que de déclencher des élections, de tenir un deuxième référendum comprenant l’option « no deal » sur le bulletin de vote, afin de sortir de l’impasse.
2 – Vote de confiance en septembre – Le Parti travailliste envisagerait de déposer une motion de censure dès la rentrée parlementaire en septembre. Il semble cependant très peu probable que Jeremy Corbyn puisse réussir à faire tomber le nouveau gouvernement de Boris Johnson. Le gros des députés conservateurs qui s’opposent à l’absence d’accord considère qu’un gouvernement Corbyn constitue une plus grande menace encore, et ils voudront attendre de voir si l’UE offre des concessions lors du sommet européen à la mi-octobre. De nombreux députés craignent également une autre élection, en particulier du côté conservateur où le souvenir de la montée de Corbyn lors des élections générales de 2017 plane encore. Si une élection avait lieu, Johnson s’engagerait à exécuter le Brexit tandis que le Parti travailliste promettrait un autre référendum. On craint également que, si Johnson remporte le vote de confiance, il soit renforcé et décide de proroger le Parlement avant la fin du mois d’octobre.
3 – Vote de confiance en octobre – Le dernier moment, et également le plus probable, pour faire tomber le gouvernement actuel se situe peu après le sommet européen du 18 octobre (soit deux semaines avant que le Royaume-Uni ne soit censé quitter l’UE). Dans cette situation, Johnson quitterait le sommet sans accord et devrait faire face à un vote de confiance peu après. Un gouvernement national dirigé par des personnalités telles que David Lidington, Keir Starmer et Philip Hammond pourrait voir le jour durant la période nécessaire à la formation d’un gouvernement alternatif. Ceci est actuellement activement discuté, mais les différentes positions sont complexes à concilier. Corbyn est farouchement opposé à ce résultat qui signifierait la fin de son leadership. Si les députés britanniques ne parviennent pas à un accord concernant la manière d’avancer, alors Boris Johnson devra déclencher des élections et probablement demander une nouvelle prolongation du Brexit afin de laisser du temps à la campagne.
4 – Forces du marché – Le marché monétaire a été le plus fort adversaire de Johnson. La livre sterling s’est effondrée de plus de 4 % en juillet – plus forte baisse mensuelle depuis le crash éclair d’octobre 2016. La dépréciation de la livre sterling reste le plus grand défi du Brexit auquel Boris Johnson s’est confronté jusqu’à présent et les investisseurs attendent toujours que la pression du marché l’oblige à changer de stratégie pour éviter un « no deal ». La question est : quand le gouvernement actuel craquera-t-il sous la pression ? Thu Lan Nguyen, stratège monétaire à Commerzbank AG, a déclaré : « Nous avons observé de temps en temps que le marché pouvait faire pression sur les gouvernements. La tourmente croissante du marché pourrait mettre le gouvernement sous pression afin qu’il s’abstienne de conclure un Brexit sans accord. Comme seuil de douleur, je pourrais imaginer une dépréciation à peine supérieur à 10 % qui rapprocherait la livre sterling de la parité avec l’euro. » Le sentiment de panique croissante qui règne sur les marchés dans une perspective d’absence d’accord pourrait bien servir de toile de fonds à certains scénarios politiques les plus étranges.
5 – Un accord de retrait renégocié – Dans le cas improbable où Boris Johnson s’entendrait sur un accord prévoyant la réécriture du « filet de sécurité » de la frontière irlandaise ne s’appliquant qu’à l’Irlande du Nord, le nouvel accord serait mis au vote en octobre devant les députés britanniques. Étant donné que les conservateurs n’ont effectivement pas la majorité, il est possible que le Parlement rejette cette proposition. Si c’est le cas, il y aura probablement un vote de confiance suivi d’une élection.
Le problème de ces scénarios est qu’il ne semble pas y avoir de majorité pour le moment – il est difficile de déterminer comment les députés pourraient se comporter avec une discipline de vote qui a disparu au sein des deux partis principaux. Il y a maintenant beaucoup de députés travaillistes ouvertement opposés à un deuxième referendum. Même les motions de censure contre Boris Johnson pourraient ne pas attirer certains travaillistes pro-Brexit, qui pourraient s’abstenir ou même voter en faveur du Premier ministre.
Il faut garder à l’esprit que, même si le Royaume-Uni s’effondrait le 31 octobre prochain, l’UE exigera toujours une solution de type « filet de sécurité » pour la frontière irlandaise ainsi que le paiement de 39 milliards de livres sterling comme conditions préalables à l’ouverture des négociations commerciales après le « no deal ». Tout cela en dépit de l’insistance de Boris Johnson et de son équipe pour qu’ils négocient tout simplement un accord de libre-échange avec l’UE une fois le départ acté.