Notre Président, Guillaume Labbez, répond à Atlantico.fr sur l’affrontement entre le Gouvernement et les syndicats.
Les syndicats ont décidé, mardi 17 décembre, la poursuite du mouvement contre la réforme des retraites. Ils ont annoncé des « actions locales le 19 et jusque fin décembre » et l’absence de trêve « jusqu’au retrait » du projet du gouvernement. Ces actions pénalisantes pour les Français vont-elles profiter à Emmanuel Macron ?
Atlantico.fr : Hormis la CFDT, certains syndicats ont déjà annoncé qu’ils entendaient continuer la grève durant la période de Noël et donc ne pas faire de trève. Cette action, pénalisante pour les voyageurs, pourrait-elle profiter à Emmanuel Macron et son gouvernement ?
Guillaume Labbez : Les grands perdants de cette grève, comme toujours, serais-je tente de dire, ce sont les travailleurs et les entreprises : l’impact économique des grèves sur cette fin d’annee est dévastatrice, après les dégâts occasionnés par les gilets jaunes et les black blocks tout au long de l’année 2019.
Les employés du privé, qui depuis deux semaines galerent a cause des syndicats de la SNCF, de la RATP ou de l’éducation nationale se demandent pdésormais comment ils pourront rejoindre leur famille à Noel.
La France est un pays latin, où notre culture du rapport de force pousse à polariser le débat. L’extrémisme de la CGT qui « ose » violer la coutume de la « trêve des confiseurs » est en train de polariser la France en deux groupes. D’un côté ceux que Nicolas Sarkozy appelait « la France qui se lève tôt le matin, de l’autre celle des derniers syndiqués, qui sont prêts à pourrir la vie de leurs concitoyens, pour entraver l’action d’un Gouvernement qui ne fait, au fond, que mettre en œuvre son programme.
En réalité, par son extrémisme, la CGT et l’extrême- gauche rassemblent le monde du privé autour du Premier Ministre et du Président de République, devenus les champions de la réforme.
Jeudi auront lieu les négociations entre les syndicats et le gouvernement. Il est aujourd’hui probable que les syndicats maintiennent leur position au regard de l’absence de trève sur la période de Noël. En adopant cette position ne jouent-ils pas leur plus grosse carte ? Ne sous-estiment-ils pas ici le capital politique que se construit le gouvernement grâce à la grève des transports ?
« Pour que seuls les rapports de force ne commandent plus les relations sociales, il faudrait, d’abord, que cesse la culture de la grève, la gréviculture, de certaines entreprises publiques » disait Michel Godet dans Le courage du bon sens en 2009. A la veille de 2020, alors que la mondialisation, l’IA, la robotisation, le big data remettent en cause les fondements du monde du travail et bouleversent notre société, on se retrouve avec un conflit social qui nous renvoie à l’époque de Georges Marchay.
Dans les transports parisiens, dans les centres-villes, on ressent un fort sentiment d’injustice. Les employés du privé, les indépendants, les commerçants, se sentent les dindons d’une farce qui se joue entre des syndicats qui ne les représentent plus depuis des années et un gouvernement qui est bien loin de leurs préoccupations quotidiennes. Tout cela pour une réforme des retraites qui leur paraît obscure et dont ils sentent qu’ils ne sortiront pas gagnants.
Le gouvernement est conscient qu’une réforme des retraites est nécessaire et qu’elle doit se faire maintenant puisque faite plus tard elle risquerait de poser problème en 2022 au moment des élections présidentielles. Pourrait-il ainsi faire passer la réforme en force, contre des syndicats affaiblis, à la Thatcher ?
J’étais dans l’équipe de campagne d’Alain Juppé pour les primaires de 2016. À l’époque mon analyse est qu’être « droit dans ses bottes » en 1995 était une tare, alors qu’en 2017 ce serait un atout majeur. Qu’on le veuille ou non, notre époque est celle des leaders forts, voire autoritaires. En Occident désormais, les citoyens élisent des leaders comme Bolsonaro, Trump ou Johnson. Vladimir Poutine fascine en France alors que son bilan politique est très contestable. En se caricaturant comme il le fait, le syndicalisme français donne envie à une grande partie des citoyens que l’exécutif les défendent, voire même les vengent des humiliations des deux dernières semaines.
Ce n’est pas rassurant pour l’unité nationale, mais le Gouvernement a tout intérêt maintenant à aller au bout de sa réforme et d’assumer un affrontement contre les syndicats avec par exemple des mesures de réquisition. L’idée de privatisation des transports publics n’a sans doute jamais été aussi populaire !
Si le conflit s’envenime, Emmanuel Macron pourrait-il être tenté d’utiliser Edouard Philippe comme un « fusible » c’est-à-dire de s’en débarasser pour apaiser l’opinion publique ? Ou alors pourrait-on aller vers un scénario similaire à la 95 où une partie du gouvernement a dû démissionner ?
Le paradoxe, par rapport à 95, c’est que la grève n’est pas du tout soutenue par l’opinion publique. Le « mouvement social interprofessionnel » est soutenu par les électeurs du Rassemblement national et de la France Insoumise, et rejetée par les électeurs du centre gauche à la droite -définis par les sondeurs par leur votes pour Emmanuel Macron ou François Fillon en 2017-. En réalité c’est un « troisième tour social » qui se joue en ce moment.
Est-ce qu’Emmanuel Macron doit en tirer des conséquences sur son Gouvernement ?
Ce serait une immense erreur de sacrifier Edouard Philippe, qui a su apporter une force réformatrice à un quinquennat qui risquait de se perdre dans une forme de « pensée complexe », ni de droite ni de gauche, qui commencait à réellement perdre les citoyens. C’est un premier ministre remarquable, qui a su être le visage rassurant de l’exécutif.
Le Gouvernement pour autant mériterait d’être adapté à cette nouvelle situation politique. La pathétique mésaventure Delevoye prouve la nécessité d’en finir avec l’ancien monde, et aller de l’avant.
Si Emmanuel Macron allait au bout de sa logique et assumait qu’il est un président réformateur de centre droit, et remaniait son Gouvernement dans ce sens, cela clarifierait le débat pour les prochaines échéances. Les prochains mois seront des moments de vérité.