CommStrat vous propose la dernière analyse politique émise par notre partenaire britannique Lodestone suite au rejet de l’accord de retrait présenté par Theresa May à la Chambre des Communes.
La maison brûle
Et bien, nous y voilà. Cette note commence généralement par une référence pop culture qui aurait servi de jingle pour l’analyse qui suit. Mais, honnêtement, qui a le temps ou le cœur à la fantaisie en ce moment de véritable crise nationale – aussi terne soit-elle ? Donc, au lieu de cela, cette note précisera simplement où nous en sommes et quelles sont nos options.
Encore une fois, le Premier ministre n’a pas réussi à obtenir l’accord de retrait. Le sort de ce dernier a été scellé plus tôt hier lorsque le procureur général (un juriste d’abord, un politicien ensuite) a confirmé l’évidence – à savoir que le Royaume-Uni n’avait pas réussi à obtenir le droit de quitter unilatéralement le backstop relatif à l’Irlande du Nord. Il était évident que le Royaume-Uni n’allait jamais obtenir une telle possibilité. Ce « filet de sécurité » est une police d’assurance. Les polices d’assurance n’ont aucune valeur si l’assureur peut annuler la police quand ça l’arrange. Sachant parfaitement cela, Theresa May a choisi de faire comme si un tel engagement était tenable. Elle l’a fait, comme à son habitude, dans une tentative désespérée de garder l’ERG[1] à ses côtés. Et, comme avec presque tout ce qu’elle fait, cette stratégie a non seulement dérapé, mais elle a dérapé de manière à créer un mal de tête encore plus grand que celui qu’elle devait soulager. Elle a encouragé les membres de l’ERG à empêcher tout amendement au filet de sécurité, et maintenant elle fait face aux conséquences de cette décision.
Alors, que va-t-il se passer ensuite ? Honnêtement, quiconque vous dit avec certitude qu’il sait, est un imposteur ou un imbécile, voir les deux. Mais ce que nous savons c’est que le poste de Theresa May est plus en danger que jamais. Sa politique sur le plus grand défi politique – en fait le seul – auquel fait face le Royaume-Uni a échouée par deux fois, et lourdement.
L’Union européenne a clairement indiqué qu’elle était allée aussi loin que possible sur la question du filet de sécurité : elle ne peut pas sacrifier l’Irlande, un de ses Etats membres, pour apaiser la Grande-Bretagne qui s’en va. Il n’y a pas de majorité pour un No Deal, il n’y a pas encore de majorité pour un référendum, pas de majorité non plus en vue pour une alternative spécifique. Si Theresa May était un Premier ministre normal, elle démissionnerait. Mais la question de savoir si elle est un Premier ministre normal est tout à fait discutable.
Le Royaume-Uni est désormais coincé. Nous pouvons demander une prolongation de l’article 50 du Traité sur l’Union européenne, mais le Conseil européen a annoncé qu’il n’approuverait une telle prolongation que si elle avait un objectif clair, avant la fin du mois d’avril. A moins que nous n’acceptions de participer aux élections européennes en mai prochain ? De façon étrange, peu d’acteurs politiques ici au Royaume-Uni peuvent accepter de participer à ces élections – ils craignent que cela paraisse à la fois grotesque et antidémocratique, et que Nigel Farage et Tommy Robinson en soient les principaux bénéficiaires. Alors que les députés voteront probablement cette semaine pour demander au Gouvernement de solliciter une prolongation, nous sommes incapables d’en définir les contours.
Il se peut donc que la seule voie possible soit celle suggérée par le conservateur Charles Walker : une nouvelle élection législative. Le Parti conservateur ne se présenterait pas sur la base de l’accord proposé par Theresa May, mais sur un nouveau compromis. Les travaillistes seraient soumis à d’énormes pressions pour s’engager à organiser un référendum dans leur manifeste. Il est probable que le nouveau groupe parlementaire des indépendants serait tué dans l’oeuf. Même si une élection générale ne garantit pas une résolution des problèmes, elle permettrait de trouver un nouveau souffle.
Sinon, si le Premier ministre parvient encore à survivre, nous continuerons à faire la même chose, en votant encore une fois sur le même accord. Et ce, la semaine prochaine, ou la semaine suivante, ou peut-être les deux. Pendant ce temps, le chronomètre tourne et Chris Grayling[2] continue son travail chaque jour afin de nous préparer de manière experte à l’impact d’un No Deal, qui reste la position par défaut. Comme on l’a dit, nous n’avons pas le cœur à la fantaisie.
[1] The European Research Group est l’alliance composée d’un groupe de députés conservateurs qui exerce des pressions notamment sur les questions relatives au Brexit. Le Président de ce groupe est le député conservateur Jacob Rees-Mogg.
[2] Chris Grayling est le Secrétaire d’Etat britannique aux transports.