Billet blog de Samuel Le Goff, consultant chez CommStrat, publié sur son Linkedin le 18 février 2022.
L’ouvrage publié par le journaliste Vincent Bresson, infiltré dans les équipes d’Eric Zemmour, révèle l’existence d’une cellule militante dédiée à Wikipédia. Elle est chargée de veiller à ce que la fiche Wikipédia de leur candidat et celles dédiées à ses thématiques phare (comme la théorie du grand remplacement) soient conforme à leurs attentes. Une affaire qui a provoqué quelques remous, et surtout, le bannissement des contributeurs pris la main dans le sac.
Une telle stratégie n’est absolument pas une surprise pour beaucoup de wikipédiens. Cela fait très longtemps que des personnes ou entreprises cherchent à avoir leur page sur Wikipédia, et à la rendre conforme à leurs attentes. Des agences de communication ont développé des produits et services en direction de cette clientèle et des outils ont été mis en place par les wikipédiens pour les surveiller de près, et les sanctionner s’ils contreviennent aux règles.
Rien d’étrange que des candidats aux élections cherchent à faire de même (et pas que pour la présidentielle). Cette période électorale avait été anticipée, avec une vigilance accrue pour les pages liées à la campagne et aux candidats. Un débat nourri a eu lieu en décembre, la communauté décidant finalement de ne pas protéger de manière préventive, les pages des candidats.
Si cette affaire a provoqué un choc dans la communauté, c’est qu’elle implique un wikipédien reconnu, Cheep. Présent depuis 2006, avec plus de 160 000 contributions, il est un des piliers de la micro-communauté qui suit activement les pages dédiées à la politique. Ses opinions politiques très à droite étaient bien connues, mais ne posaient pas de problème spécifique. Tout le monde à ses biais, et il existe d’autres contributeurs qui, à l’inverse, sont clairement d’extrême gauche. Il existe donc une surveillance mutuelle qui évite les dérapages. Les contributions de Cheep sur les pages de Zemmour ou du Grand Remplacement étaient particulièrement scrutées, et certaines ont été annulées par d’autres contributeurs. C’est d’ailleurs pour cela qu’au final, les résultats concrets de cette cellule « Wikizedia » sont assez maigres. Le système de régulation de Wikipédia a montré sa robustesse.
Le choc est venu d’un sentiment qu’en se mettant, secrètement, au service d’un candidat et d’une cause, Cheep a trahi la confiance des autres contributeurs, et l’esprit encyclopédique du projet. Il s’est ainsi servi de son savoir-faire et de l’influence dans les débats que lui donnait son ancienneté et son niveau élevé d’activité, pour biaiser volontairement des articles, le tout en bande organisée. Lorsque l’opération a été dévoilée par les journalistes, plus possible de plaider l’erreur.
La sanction s’est rapidement imposée : le bannissement. Le compte de Cheep est bloqué, et il ne pourra plus revenir, même sous un autre pseudo. Des mécanismes, à la fois techniques et humains, permettent de repérer les tentatives de retour d’un banni. En général, il tente de revenir sur les sujets qui le passionnent, et les manières de contribuer sont reconnaissables (on ne se refait pas, après 15 ans de pratique assidue). Les plus tenaces sont répertoriés (par exemple l’utilisateur Deuxtroy) et suivis à la trace, leurs nouveaux comptes étant bloqués, et leurs contributions effacées.
Le retour de flamme de l’affaire risque de faire encore plus mal à la mouvance d’extrême-droite. Maintenant que Cheep n’est plus là, les pages de Zemmour, du Grand Remplacement et consorts vont être relues en détail, et sans doute assez largement réécrites dans le sens d’une neutralisation. Les quelques biais favorables qui y ont été placés par les militants d’extrême-droite vont disparaitre. Ceux qui tenteront de s’y opposer risquent de se retrouver assimilés à « Cheep et sa clique », provoquant une hostilité des autres contributeurs, et les mettant ainsi sur la défensive. Provoquer la communauté en essayant de tricher avec les règles n’amène jamais de bons résultats, et surtout, tôt ou tard, cela finit par se voir.