Tribune de Sacha Benhamou, Consultant chez CommStrat, publiée dans Les Echos le 9 avril 2020.
Il n’y aura pas de «monde d’après» contrairement à ce que certains aiment prophétiser, écrit Sacha Benhamou. Il s’agit d’une crise sanitaire de force majeure. Point.
Il n’y aura pas de « monde d’après » contrairement à ce que certains aiment le prophétiser. D’abord, parce que notre modèle actuel en tant que tel n’est pas responsable de la crise actuelle. Ensuite, parce que toute la volonté politique du monde ne suffira pas à changer le réel.
Depuis plus d’un mois, nous traversons une crise sanitaire, bientôt économique, d’une ampleur inédite. « Confiné dans sa pensée », pour paraphraser Laurent Joffrin, chacun désigne son bouc-émissaire : néo-libéralisme et mondialisation pour les uns, faillite de l’État pour les autres.
Notre démocratie est d’abord pensée pour des périodes ordinaires, et c’est bien naturel car plus personne ne songe à vivre en état de guerre permanent. Ni le libéralisme ni le collectivisme n’ont de réponse absolue à apporter à cet état d’exception, et il est encore trop tôt pour désigner le meilleur élève de la communauté internationale.
Dans cette crise extraordinaire, il s’agit de limiter les dégâts : déployer des moyens exceptionnels pour faire face à l’urgence sanitaire, agir comme assureur de l’économie en dernier ressort pour éviter un effondrement total, comme s’y emploie le gouvernement.
« Ceux qui prétendent qu’il y a une autre stratégie sont des gens qui n’assurent pas de responsabilités dignes de ce nom » dénonce Claude Evin interviewé aux côtés de six anciens ministres de la Santé dans Le Quotidien du médecin.
Évidemment, il y aura des leçons à tirer de la crise : prévoir davantage de scénarii de crise pour améliorer notre réactivité, reconstituer nos stocks stratégiques. Mais on ne peut ni blâmer le gouvernement actuel, qui gère la crise comme il le peut avec les moyens laissés par ses prédécesseurs, ni nos institutions challengées par des circonstances extraordinaires.
Cette crise n’a pour origine ni les inégalités, ni la dégradation de l’environnement, sauf à accorder du crédit à un écologisme devenu néo-païen pour lequel « la Terre nous adresse un message ». C’est encore moins une crise de l’austérité. Le niveau élevé des dépenses publiques de l’État n’a pas empêché la France de compter parmi les pays les plus touchés. Il s’agit d’une crise sanitaire de force majeure. Point.
Alors pourquoi ce ralliement général à l’eschatologie laïque des collapsologues ? Sincère sentiment de panique face à l’inconnu ? Cynisme de responsables politiques qui suivent la foule dans la désignation du bouc-émissaire de peur d’être emportés par une vague de dégagisme ? Ou encore est-ce l’hubris du politique, habitué en France d’être l’alpha et l’omega de la vie en société, qui veut être le créateur, ou au moins le prophète, de ce « monde d’après » ?
Il n’y aura pas de « monde d’après », parce que les lois de l’économie n’évolueront pas davantage que les lois physiques. Les lois de l’économie reposent sur les comportements humains, une anthropologie construite sur des milliers d’années, qu’aucune Révolution culturelle ou autre projet prométhéen n’a pu changer.
C’est la leçon que nous aurions dû tirer de l’effondrement du bloc communiste. Les commerces brimés seront toujours sources de marchés noirs. La dette sera toujours un poison. La suspension de l’orthodoxie budgétaire n’est valable que parce que, comme le rapporte Marc Fiorentino dans un de ses éditos, la création de dette sera simultanée dans le monde entier. Les dettes s’annulant, nous pourrions ainsi échapper à l’effondrement de nos monnaies et à l’explosion des taux d’intérêts.
Les échanges internationaux ne faibliront pas. Depuis l’Antiquité, les Nations n’ont eu cesse de se spécialiser et de faire valoir leurs avantages comparatifs. Le secret de l’efficacité de l’économie de marché repose dans sa capacité à faire éclore des organisations complexes, extrêmement décentralisées mais coordonnées par l’indicateur prix. Aucun plan, malgré le génie humain, ne peut approcher son efficacité.
Est-ce que dans ce « monde d’après », les Français accepteront réellement de revenir sur l’augmentation du pouvoir d’achat permise par la mondialisation ? Est-ce que nous serons au smartphone (quasiment) pour tous ? Est-ce que la sécurité sociale aura davantage les moyens d’acheter des stocks de matériel médical made in France ? Est-ce que jusqu’à la plus petite pièce de nos respirateurs sera produite en France, devenue totalement indépendante ?
C’est bien le commerce international qui nous permet aujourd’hui de répondre à nos besoins, jusque-là imprévisibles, en matériel médical. Les stocks stratégiques sont une réponse partielle dans une crise sanitaire, un matelas de sécurité, mais pas une garantie absolue.
Les Français ont voulu que l’État soit partout, sans payer plus d’impôts, ou en faisant reposer la charge sur la base très étroite des « hyper-riches », mathématiquement absurde. Alors, l’État n’est nulle part.
Personne ne nie que l’hôpital public soit sinistré. Notre dépense publique reste élevée (53,4 % du PIB en 2020), mais le personnel hospitalier sous-payé (les médecins hospitaliers sont payés 40% de moins que leurs collègues allemands, 20 % de moins pour les infirmiers), nos ressources mal allouées. Aucun des précédents gouvernements n’a eu le courage de débattre du périmètre de l’État, multipliant les petites taxes sectorielles pour plumer l’oie sans la faire crier.
Il n’y aura pas de « monde d’après » et nous n’avons pas à désigner le bouc-émissaire de cette crise, mais nous aurons bel et bien à reconstruire notre économie, avec les recettes qui ont toujours fait le succès des pays en tête des classements de l’OCDE.
Il ne s’agit pas revenir sur notre ambition de réforme, mais au contraire de l’amplifier : choc fiscal, simplifications administratives, comme le prévoit le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi Asap, libération de nos secteurs les plus innovants, dont la biotech…
Cette politique de l’offre, comme l’appellent de leurs vœux Philippe Aghion et Elie Cohen dans une tribune pour Les Échos, est certes plus difficile à mettre en œuvre, parce qu’elle nécessite de faire des économies tout de suite, là où la relance par la dette les remet à demain, comme depuis des décennies. Nous devrons aussi réfléchir au périmètre de l’État, penser un État plus agile, plus décentralisé, qui fait davantage confiance aux collectivités, aux citoyens, et aux entreprises.
Se reposer sur le secteur privé permet une implémentation plus rapide des solutions comme l’a démontré LVMH en mettant au service de tous son extraordinaire réseau commercial pour importer les masques qu’il nous manque.
La crise économique n’est qu’à son début. La précarité tue, et pourrait tuer plus longtemps que le virus. L’emploi doit continuer d’être notre priorité. Faisons place à la raison, l’émotion est un mauvais guide en matière de décision publique. Nous ne voulons pas du « monde d’après » mais du monde d’avant, du monde où nous profitions en famille, avec nos amis, de la prospérité que notre civilisation a permise.