A l’issue d’une réunion-marathon de plus de 48 heures, le Conseil européen a trouvé mardi 2 juillet au soir un accord sur les nominations aux postes clés de l’Union européenne pour la période 2019-2014 :
– la Ministre allemande de la Défense, Ursula von der Leyen (conservatrice) succédera à Jean-Claude Juncker (chrétien démocrate) à la Présidence de la Commission européenne en novembre ;
– la Directrice-Générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde (conservatrice), ancienne Ministre française de l’Economie et des Finances, prendra la suite de Mario Draghi à la Présidence de la Banque centrale européenne en décembre ;
– le Premier ministre belge Charles Michel (libéral) remplacera Donald Tusk à la Présidence du Conseil européen en décembre ;
– le Ministre espagnol des Affaires étrangères par intérim et ancien Président du Parlement européen, Josep Borrell (socialiste), succédera à Federica Mogherini (socialiste) au poste de Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité en novembre.
Ces nominations sont un succès pour Angela Merkel et Emmanuel Macron. Il est moins certain en revanche qu’elles le soient pour la relation franco-allemande, qui sort ne pas indemne de cette période. Angela Merkel est parvenue à imposer une candidate allemande issue de son parti (CDU) et de la droite européenne (PPE) à la tête de la Commission. C’était son objectif. Emmanuel Macron a mis en échec le système desSpitzenkandidaten, qui donnait au premier parti politique européen l’assurance de la désignation de son leader comme Président de la Commission européenne. C’était son objectif.
L’Allemagne et la France se sont durement affrontées. L’opposition du Président de la République au Spitzenkandidat de la droite européenne, Manfred Weber, au motif de son absence d’expérience ministérielle, a été rudement ressentie à Berlin. Cela rendait impossible pour le gouvernement allemand un soutien au scénario alternatif de désignation de Michel Barnier, le négociateur français du Brexit, pourtant issu de la droite européenne et apprécié par les chefs d’Etat et de gouvernement. Pour sortir de l’impasse, c’est Emmanuel Macron qui a suggéré à Angela Merkel la candidature d’Ursula von der Leyden, ouvrant par la suite la voie à la désignation de Christine Lagarde à la BCE.
Deux femmes, reconnues pour leurs compétences européennes et internationales, vont occuper les deux postes les plus importants de l’Union européenne. Ursula von der Leyen est membre des gouvernements d’Angela Merkel depuis 15 ans, en charge successivement des portefeuilles de la famille, des affaires sociales et de la défense. Elle appartient à une famille très engagée dans la vie politique allemande : son père Ernst Albrecht a été pendant près de 20 ans le Ministre-Président du Land de Basse-Saxe. Née en Belgique, elle a fréquenté les écoles européennes de Bruxelles et parle couramment anglais et français.
Madame von der Leyen devra affronter deux votes au Parlement européen avant de pouvoir succéder à Jean-Claude Juncker. Le premier, en juillet, portera sur sa nomination, qu’il reviendra au Parlement de confirmer. Le second, en octobre, portera sur le collège de commissaires européens qu’il lui faudra former, en lien avec les candidats que chaque Etat membre de l’Union européenne devra désigner dans les prochaines semaines. Rien ne garantit que le Parlement européen, plus morcelé que dans les précédentes législatures, lui accordera son soutien. Les groupes parlementaires conservateurs et libéraux, grands vainqueurs de ces désignations, sont loin de réunir une majorité absolue des députés.
Là est l’inconnue pour la confirmation de Madame von der Leyen et plus généralement pour la législature. Les socialistes sortent laminés du processus de désignation. Les écologistes en ont été écartés. L’absence de soutien socialiste à la confirmation d’Ursula von der Leyen pourrait mettre en échec sa désignation. Le Conseil européen le sait et c’est pour cela que l’élection mercredi 3 juillet du socialiste David Sassoli à la présidence du Parlement européen jusqu’à fin 2021, est une nouvelle intéressante dans le processus. Attention, cependant, David Sassoli n’a obtenu que 345 voix, ce qui est très peu, qui plus est lors d’un second tour. Il n’a donc pas reçu le soutien de la totalité des socialistes, des libéraux et des conservateurs qui auraient dû représenter autour de 450 voix. De son coté, Ursula von der Leyen aura besoin de 376 voix pour être nommée Présidente de la Commission européenne.
Que retenir en conclusion de ces désignations ? Que les intérêts nationaux se sont opposés et que cet affrontement laissera des traces durables. Le moteur franco-allemand pour l’Europe est à plat. Le Parlement européen sort humilié de l’exercice, non seulement par le rejet du système des Spitzenkandidaten, mais aussi par le fait que le Conseil européen entende lui imposer son candidat à sa présidence. Il pourrait le faire payer cher en retour dans la construction législative et budgétaire au cours de la législature. Les réactions hostiles à la signature du traité commercial EU-Mercosur en sont un premier exemple.
Pour les entreprises et les fédérations professionnelles, il appartiendra plus qu’auparavant d’investir dans la relation avec la Commission européenne, les gouvernements nationaux et le Parlement européen. Les compromis entre les institutions européennes seront en effet plus difficiles à atteindre. Il faudra surveiller attentivement la constitution des premières majorités et des premières alliances au Parlement européen pour comprendre et anticiper ce que seront les dynamiques politiques des 5 années à venir dans les domaines essentiels que sont le marché unique, la politique de la concurrence, l’énergie et le commerce.